Futur Fragile
Des travaux récents menés par des neuro-généticiens suggèrent que les traumatismes vécus par nos ainés seraient présents jusque dans nos gènes. Invisible à l’œil nu, imprégnant nos présents, accompagnant peut-être nos comportements futurs, ce poids généré par notre héritage inquiète autant qu’il invite à replacer les individus sur l’échelle du temps de leur environnement. Ici, la série de photos proposée par Thibault Lefébure raccourcit la distance et enjoint frontalement à se confronter à la fatalité des chemins de vies. Ici les traces sont bien visibles, les corps marquent et les bleus à l’âme imprègnent les regards. Le temps s’étale à travers les images comme autant de fenêtres sur les points clefs de la Méditerranée, ou même jusqu’à chez nous, où l’on peut lorsque l’on est contraint de partir, tel la méduse en présence, échouer. Il n’est pas nécessaire pour voir de savoir, une à une, les épreuves vécues par les individus. Si l’esprit cherche pour apprécier et expliciter les parcours, le cœur constate et fait surgir les personnalités malmenées, la violence évidente et les enfances brisées. Il est bien question d’universalité dans la détresse de leurs yeux, les questions sans réponses qu’ils semblent soulever, les horizons vus du port et les lueurs d’espoir. La main tendue d’une Notre Dame du Liban immaculée tout comme l’arche - inaccessible beauté - de la cité oubliée, seuls immuables préservés sont là pour nous rappeler la matérialité par l’homme préférée. La brutalité n’enjoint pas la métaphore filée : l’eau et le feu sont là pour le rappeler. Point de symbole mais une utilité première, modelée par l’ombre et la lumière, soulignée par un noir et blanc intemporel et bien contrasté, qui délimite les contours des singularités. Un dessin d’enfant d’une Kalachnikov puis l'arme bien réelle proposée juste après instruit sur la fragilité du futur et sur l’ampleur du combat contre l’injustice à mener : quelle empreinte va-t-elle au final laisser chez cette individualité? Seules les images de solitude peuvent prétendre à l’universalité. Ici additionnées, elles sont encore criantes d’humanité.
Pascale Cholette
